Sous les Mots

Une tribune par Chienlit

Dans tous les livres dont le propos est la zoosexualité, on vous assomme souvent de définition. Aujourd’hui, on parle majoritairement de bestialité, de zoophilie et de zoosexualité. Mais savez-vous que tous ces mots ont en fait désigné la même chose, mais à des périodes historiques différentes ? Cet angle terminologique permet de dégager des périodes historiques aux mœurs propres. Nous en avons dénombré cinq : la chrétienté, le spécisme, la protection animale, la psychiatrie et la libération zoosexuelle.

Cet article repose sur des recherches effectuées en France. Les propos suivants ne sont donc pas universels.

 

La chrétienté
Dans les textes anciens, la zoosexualité est désignée par l’intermédiaire de périphrases. Par exemple, on peut rencontrer dans les textes latins : « fornicationem contra naturam » (fornication contre-nature), « cum animalibus coires » (copuler avec des animaux) ou encore « cum quadrupedus peccat » (pécher avec des quadrupèdes), etc.

(Figure 1: L’interdit zoosexuel dans le Decretum de Burchard de Worms, 1051, « Pecudibus fornicantur », « Quadrupedum fornicatoribus »)

 

 

 

 

 

 

Il semblerait qu’il n’ait existé aucun mot désignant la zoosexualité avant le XIIe siècle où l’usage du mot sodomite se répand. Ce dernier fait référence aux Sodomites, habitants de la ville de Sodome (Genèse 10:19). Il s’agit donc d’une antonomase (un nom propre devenu un nom commun). D’après le récit biblique, un habitant de Sodome, Loth, accorde l’hospitalité à deux anges envoyés par Dieu. Tous les hommes de Sodome entourent alors sa maison et demande à en faire sortir ces étrangers qu’ils pensent être des hommes afin de les « connaître » (Genèse 19:05). Connaître au sens biblique signifie avoir une relation charnelle. Loth refuse et leur propose deux de ses filles vierges en échange. Les Sodomites déclinent l’offre et Dieu détruit la ville par « une pluie de soufre et de feu » (Genèse 19:24). Quoiqu’un doute d’interprétation lié au refus de l’hospitalité subsiste, bibliquement, les Sodomites sont à l’évidence des homosexuels masculins. Par extension, la sodomie désigne tout type de pratiques sexuelles (hyperonyme) dites contre-nature (non procréatives) dont fait a fortiori partie la zoosexualité.

Il existe encore le mot bougre, un synonyme de sodomite teinté d’hérésie. Ce mot renvoie au prêtre bulgare Bogomil, fondateur du bogomilisme. Au XIIIe siècle, sous l’effet de la propagande inquisitoriale dirigée contre l’hérésie bogomile, les Bougres (les Bulgares) sont taxés de sodomites. Cette appellation de bougre est purement infamante puisque les bogomiles pratiquaient l’ascétisme (abstinence sexuelle incluse).

 

Le spécisme
Le mot bestialité apparaît au XIVe siècle. Il est issu du latin « bestia » et désigne tout comportement assimilant l’homme à la bête. Cette définition appelle le questionnement suivant : comment une bête est-elle censée se comporter ? Pour les humains, une bête est un être primitif essentiellement caractérisé par sa férocité (bestialité) et sa bêtise (bête). Et effectivement, dans son habitat naturel, une bête sauvage affamée ne va pas vous dire bonjour avant d’essayer de vous manger. Mais en est-elle pour autant plus féroce que l’homme ? La bête est donc un référent du déséquilibre humain ; le bestial a pu désigner le criminel, le fou ou encore le tortionnaire.

Le mot bestialité va acquérir un second sens sexuel au XVIe siècle.

 

(Figure 2 : Bûcher de zoosexuelle toulousaine dans « Arrêts notables du Parlement de Toulouse » utilisant le mot « bestialité », 1525)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette « bestialité sexuelle » est un figuré métaphorique issu du sens premier du mot ; la zoosexualité serait régressive, parce que dirigée vers l’animal. La bestialité relève donc du spécisme, y compris sexuel.

Dilemme : entre un humain déséquilibré et un animal disposé, quel partenaire sexuel choisiriez-vous ?

Lorsque nos sexologues contemporains parlent de bestialité, ils font directement référence à cette zoosexualité brutale, stupide et primitive ; pour le dire simplement, à cette zoosexualité sans amour.

 

La protection animale
Le XIXe siècle donne naissance au mot zoophilie. Son sens d’alors est tout simplement celui de son étymologie : une affection (philia) envers le vivant (zoo). Les premières occurrences françaises sont concomitantes de l’article 453 du Code pénal napoléonien de 1810. Mais ce mot ne se répand vraiment qu’à partir des années 1820. On peut le relier à la création du zoo de Londres (London Zoo) en 1828 ou encore au Martin’s Act de 1822 ; une loi anglo-saxonne aujourd’hui considérée comme étant la première loi de protection animale en Occident. Après le Martin’s Act, les journaux français parlent de la « zoophilie des anglais ». À l’évidence, un zoophile est alors perçu comme une personne condamnant la maltraitance animale. Une société de protection des animaux est appelée une « société de zoophilie » ou un « club de zoophile » !

(Figure 3 : « La grande semaine des zoophiles », article de presse signé Botrot, 1926)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un éleveur est zoophile s’il prend soin de ses bêtes en leur appliquant, par exemple, cette « pommade zoophile » alors en vente dans le commerce.

 

(Figure 4 : Publicité pour le « Manuel du zoophile » de Celnart, 1827)

 

 

 

 

 

(Figure 5 : Publicité pour « La pommade zoophile » de la société Peyrat, 1868)

 

 

 

 

 

 

 

 

Peu à peu, les zoophiles sont tournés en ridicule pour leurs amours excessifs des animaux. La zoophilie se charge ainsi d’une connotation négative. Ce virage est potentiellement misogyne, puisque comme Féré le constate, la zoophilie se rencontre principalement chez la femme (Zoophilie et zoophobie, Charles Féré, 1897). Et nous ajoutons, de la même manière que la bestialité se rencontre essentiellement chez l’homme.

 

(Figure 6 : Une caricature de zoophile dans un journal, 1935)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La psychiatrie
Krafft-Ebing, psychiatre de renommée internationale, est devenue un des pionniers de la sexologie avec son ouvrage « Psychopatia Sexualis ». Le succès est tel que l’ouvrage est constamment augmenté de 1886 à 1924 (quatorzième et dernière édition). La « psychopathie sexuelle » fait le tour du monde et est notamment traduite en français et en anglais. Au fil des éditions allemandes, la panoplie concernant les relations sexuelles interespèces s’étoffe : « viol d’animaux » (thierschändung) nommé aussi sodomie ou bestialité, sadisme avec des animaux, le « fétichisme animalier » (thierfetischismus) et la zooérastie.

Le mot « zoophilie » serait apparu pour la première fois avec un sens protosexuel dans la 8e édition de 1893 : « À la suite du fétichisme de la matière, il faut encore penser à certains cas où les animaux ont un effet aphrodisiaque sur les humains. On pourrait parler ici de zoophilie érotique ».

 

(Figure 7 : La « Zoophilia erotica » de Krafft Ebing dans la 9e édition de la Psychopathia Sexualis, 1894)

 

 

 

 

L’observation associée au « thierfetischismus » est celle d’un jeune adolescent sexuellement excité au contact de la fourrure animale (Die krankhaften Erscheinungen des Geschlechtssinnes, Tarnowsky, 1886). Dans les milieux psychiatriques, la zoophilie devient sexuelle. Mais ce n’est qu’après-guerre que le mot zoophilie se substitue peu à peu à celui de bestialité (probablement sous influence anglo-saxonne). Notons l’ironie de l’Histoire : les zoophiles d’hier condamnent ceux d’aujourd’hui ! Par l’influence de la psychiatrie, la zoophilie a acquis une connotation pathologique qu’elle conserve encore aujourd’hui.

Krafft-Ebing propose le mot « zooérastie » comme catégorie de sa classification avec un sens de bestialité pathologique. Ce mot n’a jamais été très usité.

En 1940, Clifford Allen forge le mot-valise bestiosexualité. Ce mot sera également peu usité en France. Il est cité uniquement afin de souligner l’existence d’un mot antérieur à celui de « zoosexualité » et formé sur le même radical « sexuel ».

 

La libération zoosexuelle
Le mot-valise « zoosexualité » est forgé au début des années 1990 par des pratiquants (anciennement zoophile donc) américains sur Internet.

 

(Figure 8 : Utilisation du mot « zoosexuel » sur le newsgroup Usenet « alt.sex.bestiality », 3 mars 1994)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On peut aisément comprendre les raisons qui ont amené ces zoosexuels à cette saillie linguistique : aucun mot n’avait jamais exclusivement décrit la réalité zoosexuelle. Comme on l’a vu, « sodomite, bougre, bestialité et zoophilie » sont polysémiques, ils ne peuvent donc décrire exclusivement l’acte. De plus, ils sont connotés négativement : le sodomite est un pécheur, le bougre un hérétique, le bestial une brute, le zoophile un malade mental ! Pour ses partisans, le mot « zoosexualité » serait ce mot manquant capable de nommer une pratique interespèce dénuée de connotation négative.

L’éternel débat émerge. Quel mot utiliser alors ? Zoophile ou zoosexuel ? Les deux présentent des avantages et des inconvénients.

Le mot « zoophile » est simple, compréhensible, possède une sémantique positive et convient à tous, y compris aux platoniques. Mais il possède une connotation psychiatrique et est repris par des personnes souhaitant importer le mouvement « anti-contact » d’origine pédophile (en France, on parle de « pédophile abstinent ») à la zoosexualité.

Le mot « zoosexuel » met en avant la sexualité et non plus l’affection. Efficace pour lutter contre le mouvement anti-contact, mais certains experts ont ainsi pu inclure le sadisme dans la zoosexualité. Se déclarer zoosexuel constitue une preuve par aveu alors que se déclarer zoophile est légal. Et en dernier argument, la zoosexualité est un calque du mot homosexualité choisie à dessein dans l’espoir d’être un jour au même niveau de tolérance sociétale que les homosexuels. Le mot « zoosexuel » incarne ainsi cette idée d’intervention sur la réalité par le langage. Inversons cette logique. Le mot zoophile constitue-t-il un obstacle à un éventuel processus de normalisation ? Nous pensons que non. À titre d’illustration, citons la revue militante Arcadie (1954-1982) qui se disait « homophile ». Ce qui n’a nullement empêché la normalisation de l’homosexualité et l’a même préfigurée.

Aujourd’hui, le mot zoophilie est toujours très présent ; le mot zoosexuel ne s’est pas imposé. Dans ce fouillis linguistique, les diminutifs prospèrent : zoo (nom), zooey (adjectif) (grâce au podcast Zooier Than Thou). Le choix des mots est important, mais cela ne fait pas tout. La libération zoosexuelle passera avant toute chose par la lutte contre les amalgames sociétaux.

 

Article écrit par Chienlit (octobre 2023)

Images de Gallica (Figure 1), Tolosana (Figure 2) et RetroNews (Figure 3, 4, 5, 6).